« Au vingtième siècle, la crucifixion doit être envisagée comme un auto-désastre conceptuel », affirme J.G. Ballard dans La Foire aux atrocités. Dont acte avec Crowbar.
Crowbar, le deuxième album de sludge boueux made in NOLA (sinon où ?) de Kirk Windstein et sa bande, s’avère 100 fois plus lourd qu’un 33 tonnes circulant sur la Route 66. Et ce d’autant plus qu’il déroule un chapelet de chansons identiques en tout point, à la manière d’un monolithe noir qui ne ressemble à rien de plus qu’un autre monolithe noir. Minute après minute, Crowbar nous travaille au corps, frappe dans les côtes et dans le foie, mécaniquement, avec application, jusqu’à la soumission, le KO, l’abandon.
Stauros, en grec, est le mot pour dire « pieu, poteau », puis « croix ». Il n’implique pas un objet formé par le croisement à l’orthogonale de deux planches ou de deux poutres, et peut signifier aussi bien une pièce unique, un pieu (skolpos, en grec, rassemble tout ce qui est planté droit en terre, tel qu’une souche, un poteau, ou un pieu donc), sur lequel pouvait être suspendu ou cloué un condamné. Le latin crux a donné « croix » dans notre langue. Pourtant, il s’agit essentiellement, à l’origine, non pas de deux troncs ou poutres se croisant à angle droit, mais d’un pieu auquel on pouvait attacher les condamnés de diverses manières : empalés, pendus, cloués ou liés. Crux est donc l’équivalent latin du mot stauros en grec.
Le Christ n’est pas « crucifié » chez Crowbar, étant entendu qu’il n’est pas en croix : il est attaché à un poteau, exempt de toute traverse horizontale, les bras dans l’alignement de son corps. Et ce ne sont pas des clous qui pénètrent la chair de ses mains, celles-ci sont liées en l’espèce par une corde épaisse. En gros, on est plus dans un trip à la Koh Lanta version hardcore que dans l’évocation du Mal. Les mecs de Crowbar ne sont en aucun cas des satanistes, ce sont plutôt des bons petits gars qui souffrent, là-bas dans leur bayou, et qui, dans leur appel à l’aide, nous ouvrent littéralement le coeur au pied de biche.
Il est par ailleurs intéressant de noter que le Christ crowbarien ne se pare pas de couronne d’épines. Tous les artistes ne crurent pas devoir représenter Jésus sur la croix avec cet attribut, même si la majorité l’a fait. Notons qu’en général, le Christ en croix porte une couronne d’épines plus discrète dans l’art italien et parfois monumentale, voire cruelle tant est convaincante l’acuité des épines, dans l’art flamand ou allemand du XVIème et XVIIème siècle.
Mitchell L. Nawara, l’auteur de l’artwork, était le frère de Mark Nawara, le producteur exécutif de Crowbar. Mitch, également bassiste pour le groupe power pop/new wave O’Aces, est décédé en 1995 à l’âge de 39 ans.