Michel Houellebecq prouve sa qualité de poète à qui veut l’entendre sur l’album Présence humaine

Contrairement à ce que martèle son camarade présénile Philippe Sollers, le prix de Flore 1996 s’incarne aussi en poète. Premier amour contrarié, la poésie de Houellebecq prend vie dans un album commis en 2000 par le romancier, sous l’égide de Bertrand Burgalat et ses sbires du label Tricatel. Un four étonnant, qui ne passera pas l’épreuve du live.

On jurerait entendre Bernard Lavilliers. Les premières secondes de Présence humaine, l’album de Michel Houellebecq sont troublantes : est-on en présence d’un titre du loubard stéphanois ? Que nenni. Une brusque montée du volume après une minute nous ramène à la raison et le trouble s’estompe. Le chiffre des ventes confirme ce dur retour à la réalité : seul 12 000 albums de Présence humaine ont été écoulés. Lavilliers peut dormir tranquille sur ses disques d’or.

UNE VOIX AGRÉABLE

Alors que le statut de pop star 5 étoiles de Houellebecq semblait promettre un succès commercial, ce disque fut curieusement boudé par le public donc, mais aussi, selon la rumeur, par son auteur lui-même.

L’écrivain déclame certes ses fulgurances poétiques un peu raide sur le beat, on imagine aisément la transpiration abondante qui perle sur son front dégarni pendant les séances d’enregistrement, mais sa voix est agréable. Ce sentiment est d’autant plus prégnant dans les moments où notre chanteur d’un jour peut languir. Houellebecq se trouve en effet plus à son aise quand le tempo de son backing band – les futurs A.S Dragon – mollit, et qu’il peut prendre le temps de poser sa voix et de rester dans les graves ; place alors à l’hidalgo d’opérette (“Séjour-club”, “Playa Blanca”). Michel sonnerait presque sexy : une gageure pour Houellebecq et un tour de force ahurissant du producteur du disque, Bertrand Burgalat.

Dans les moments plus rock (« Présence Humaine », « Paris-Dourdan »), la voix de Michel Thomas – le nom de naissance de Houellebecq – surprend, transfigurée par une énergie et une agitation inhabituelle, en rupture avec sa voix signature mollassonne débitée en interviews et lors de master class. Il fait par ailleurs l’effort appréciable d’articuler pour être intelligible. Encore une fois, levons notre verre de vin blanc à Burgalat.

DES ARRANGEMENTS LUXUEUX

Jusqu’à « On se réveillait tôt », le sixième morceau, l’album défile sur courant alternatif, entre pop nerveuse et ballade de lover, au rythme d’un titre sur deux. La musique du crew Tricatel réalise le grand écart, avec beaucoup de naturel et d’aisance. Les arrangements luxueux de Burgalat ne mégotent pas sur le nombre de notes, qu’ils lancent des éclairs funky, des saillies psyché ou qu’ils nous bercent d’easy listening. Ces sonorités fonctionnent bien avec l’univers de Houellebecq, assez curieusement. Car le territoire ultra réaliste, voire naturaliste, des romans houellebecquiens tranche franchement avec la douceur langoureuse d’une bande-son les pieds plantés dans le sable chaud. C’est “lounge comme on disait en 2000. Les pisse-froid argueront que Burgalat s’agite parfois sur un fil peu mince qui lorgne vers la musique d’ascenseur. Pas faux.    

Puis vient l’enchaînement climax de “Plein été” et “Célibataires”. Célibataire en plein été, le rêve pour un chasseur de nymphettes en mini jupes comme Houellebecq. Mais ce « Plein été » de 8’42 prend place à Palavas, autant dire sous les traits d’un cloaque à touristes. Il est sept heures du matin, Michel a passé la nuit sur un dallage, il doit avoir le dos en vrac, mais il se dit tout de même que « la journée sera belle ». Rassurez-vous, cet élan d’optimisme béat ne dure pas. Houellebecq touche le fond de la piscine en déclamant qu’il se verrait bien passer chez Ikea pour « retrouver de l’espérance, en achetant des meubles ». « Je suis le vent du Nord », dit-il. Ouf, on retrouve le Michel pessimiste adorateur de Schopenhauer. Et que dire de l’épique “Célibataires” et son train-train electro pop ? Peu de choses si ce n’est que Kraftwerk peut aller se rhabiller, plié par la Houellebecq Electronic Experience et sa faconde de première classe. Normcore 1, Costards Hugo Boss 0.

Après un tel double impact sonique, plus rien n’aura la même saveur. Les deux derniers morceaux de l’album, « Crépuscule » et « Derniers temps », sont passables et manquent de sel. Les titres mêmes, dans une quasi synonymie, soulignent la lassitude des musiciens et leur volonté d’en finir fissa. La mienne aussi.

HUSSARD PUNK IMMOBILE

Chose inattendue connaissant l’amour ténu de H pour la chose publique, plusieurs représentations, que dis-je, une tournée des grands ducs s’est tenue pour promouvoir la sortie de Présence humaine. Paris, province, festivals, tout y passe, même Drucker et son assommant “Vivement dimanche”.

Une captation vidéo en terre allemande, à la frontière du gênant et du réel, nous en apporte la preuve. On y voit un Michel hébété en hussard punk immobile, qui vocifère tant bien que mal dans son chino fluo, avec l’aisance élastique d’un vieux garçon échappé de son appartement de banlieue pavillonnaire. Entendons-nous bien : Houellebecq est un poète, pas un performeur. 

La tournée, entre quelques hauts et une flopée de bas (cf. le récit de Burgalat dans Gonzaï sur fond de crise de nerf, de taux d’alcoolémie proche de 3.0, d’abandon lâche, et de pingrerie maladive), s’achève en 2001 en première partie de l’affreux groupe pseudo jazz St Germain, pour le festival des Inrockuptibles. Clin d’œil de l’histoire douze ans plus tard, un certain Marc Houellebecq, obscur agent immobilier, termine sa route à St-Germain.

Dans un flash de sagacité marketing, Bertrand Burgalat parlait de « rap mou » pour qualifier le disque à sa sortie. Émerge donc une question d’importance : ce thug de Michel Houellebecq se gavait-il de lean comme Lil Wayne ?