Comment Slipknot a mis l’Iowa sur la carte du monde

L’Iowa n’est pas l’État le plus sexy des USA. Nichée au cœur du Midwest, cette région besogneuse, peu connue du grand public en Europe, a longtemps traîné une image insignifiante. La faute à une production de maïs délirante et à une capitale d’à peine plus de 200 000 habitants. Mais en 1999, tout change : le métal made in Iowa de Slipknot déferle sur le monde. Si le pouvoir d’attraction de l’État n’a pas bougé d’un iota en vingt ans, sa notoriété a en revanche explosé dans le sillage du groupe. 

Si sur un malentendu vous avez avez déjà entendu parler de l’Iowa, c’est probablement par le prisme politique. Tous les quatre ans, cet État lance les élections présidentielles américaines avec un caucus – sous-entendu un huis clos consanguin qui rassemble les élus d’un parti politique. Mais encore ? L’Iowa est l’État de naissance de John Wayne, figure tutélaire du western. Quelle personne de moins de 70 ans sait ce genre de chose ? Personne. Pour les quarantenaires et moins, Iowa = Slipknot. Point barre.

UNE ORIGINE REVENDIQUÉE

1999. Une année marquée par l’avènement d’une Lauryn Hill qui ne croule pas encore sous les dettes, l’arrivée fulgurante d’une post-ado boudeuse et sexy (la Britney Spears de « One more time »), la vie de fou d’un Ricky Martin hétéro et le « My name is » de la nouvelle promesse du rap blanc, Eminem. Au milieu de la soupe MTV mainstream ambiante, Slipknot, ou 9 hurluberlus masqués et sapés en combinaisons de taulards qui font une entrée fracassante avec leur prise d’assaut néo métal.

Au menu : un chanteur possédé aux influences hip-hop (gamin, Corey Taylor était fan de NWA), un clown massif et flippant qui tape comme un sourd sur des bidons de fioul, un batteur demi-portion qui n’a rien à envier à Tommy Lee, des guitaristes chevelus pas maladroits et un DJ survolté et bagarreur. En gros, l’Amérique nous envoie un scud grand-guignolesque, mais aussi hyper rafraichissant, bien marketé et vraiment original, sur le plan sonique comme visuel. De quoi séduire les hordes d’ados boutonneux qui en ont marre de se polluer par les mains sur le clip de Britney.

L’originalité de Slipknot se traduit aussi dans leur extraction géographique. Ils sortent de nulle part et ils l’assument. Les membres fondateurs du groupe Corey Taylor, Shawn Crahan et Joey Jordison sont nés à Des Moines, la capitale de l’Iowa. Enfin, on parle certes d’une capitale, mais à l’échelle gigantesque des USA, c’est ridicule, infinitésimal, parce qu’en termes de nombre d’habitants, on est sur une ville équivalente à Rennes. Probablement encore plus ennuyeuse que le chef-lieu de l’Ile-et-Vilaine, Des Moines constitue aussi un terreau favorable pour la créativité. La logique du tu t’emmerdes, tu veux t’occuper, tu montes un groupe avec tes potes fonctionne à plein. On ne peut pas tous être issus de l’intelligentsia new-yorkaise – coucou Julian Casablancas.  

© Lost in the USA
IOWA, METAL BRUTAL

Après le succès inattendu et soudain du premier album, les bouseux de Slipknot n’étaient plus des rookies, mais des superstars. La pression sur les épaules du groupe était immense. Un changement de dimension qui a vrillé le cerveau de tous les membres du groupe ou presque. Dans un état lamentable du levé au couché, accros à l’alcool et à la came, la bande des 9 ne pouvait plus se blairer. Compliqué dans ces conditions d’enregistrer un disque, en particulier le fameux « deuxième album », celui de la confirmation, ou pas.

La genèse de ce qui deviendra le fabuleux Iowa démarre sous haute tension. Le producteur Ross Robinson a eu un accident de moto juste avant et il a le dos en vrac. Cela ne va pas beaucoup mieux du côté du groupe, avec le grand-père du DJ Sid Wilson qui décède alors que le groupe entre en studio. L’anxiété, la douleur et la dépression planent en cercle continu au-dessus du groupe, prêts à la dépecer à la moindre ouverture. Certains en rajoutent à dessein : Corey Taylor se fait des entailles sur le corps et se fait vomir avant l’enregistrement des titres, dans l’objectif de livrer la performance vocale la plus intense et la plus brutale possible. Une ambiance légère qui accouche d’une bête immonde.

Iowa est reconnu par l’écrasante majorité des fans du groupe et de métal en général comme le plus puissant, le plus dur, le plus sombre et le plus frontal du combo de Des Moines. Pas faux. Je me souviens de la première fois que j’ai mis le CD sur ma platine. Le son étouffant et malaisant qui sortait de ma chaîne Panasonic m’avait collé au mur. Visuellement, c’était à l’avenant. La chèvre en furie qui orne la pochette de l’album est prête à me rentrer dedans. Tout appelle aux enfers sur cet album : la musique, la pochette. Et le tout sous la bannière bleu-blanc-rouge de l’Iowa.

MAUVAISE GRAINE

Iowa gravit les charts du monde entier. En 2001, l’heure est encore aux modems 56K, mais MTV tourne en boucle même chez les ados européens et la chaîne déverse une promotion qui martèle Iowa, Iowa, Iowa à longueur de journée. La région perdue et miteuse du Midwest a trouvé ses champions. Des ambassadeurs qui ne sont pas propres sur eux, mais il paraît que l’on récolte ce que l’on sème. Et en Iowa on sème à tout va.

90% de la superficie de l’État (144 669,2 km2) est consacré à l’agriculture. Les Iowiens sont des bosseurs et des taiseux depuis des générations, alors gageons que la sortie d’Iowa a bien dépoussiéré le grenier avec une opération de communication, gratuite qui plus est, pour l’Office de tourisme d’un État sans histoire. 13 ans après la sortie d’Iowa, on retrouve un autre clin d’œil de Slipknot à leur Etat natal avec la pochette de « All hope is gone » : les membres du groupe posent dans un champ de maïs. LA céréale emblématique que l’on trouve à profusion dans l’Iowa.

© Slipknot

Aujourd’hui, les 9 de Des Moines attirent un public toujours plus large. Les progrès dantesques de Corey Taylor au chant et des plans mélodiques plus appuyésont conquis les foules. Slipknot ne compte pas encore de ménagères de moins de 50 ans au sein de leurs maggots, mais la fan base ne se limite plus aux adolescents mal dans leur peau et aux adeptes de tatouages tribaux. De quoi donner des idées pour étendre leur business et vendre leur mode de vie auprès de fans épris d’amour.

UN WHISKEY COULEUR LOCALE

Depuis ses débuts, Slipknot excelle sur le terrain du marketing et de la communication. L’imagerie créée est forte, on l’a dit, et ils exploitent le filon en proposant du merchandising à profusion. Dernier exemple en date, qui affirme encore un peu plus leur ancrage iowien : un whiskey. Le Midwest est une terre de whiskey, et l’éminemment célèbre Jack Daniel’s est produit dans le Kentucky, un Etat voisin et honni de l’Iowa. Curieusement moins prolifique en elixirs alcoolisés à base de céréales malgré, on l’a dit, une terre fertile, l’Iowa ne compte qu’un producteur local de renom.

© Cedar Ridge

Cedar Ridge est une maison créée en 2005 par Jeff Quint. C’est une affaire de famille qui gagné ses galons de whiskey haut de gamme. En businessman avisé et opportuniste, Clown a flairé le bon coup. Après des mois de travail, Slipknot lance en 2019 un whiskey en association avec Cedar Ridge. Le producteur ne se serait pas engagé sur un produit de mauvaise qualité, la caution est sérieuse. Il s’agit certes d’une opération marketing, pour étoffer encore un peu plus un merchandising déjà conséquent autour de l’imagerie de Slipknot, mais ce whiskey goûte, selon les dires d’experts de l’alcool de malt : il a été élu par le magazine Forbes comme le “Meilleur whiskey produit par une célébrité”. Bon on ne parle pas du sceau de la Maison du Whisky, mais il devance celui des clowns de Metallica. Prends ça James Heftfield.