Actif depuis 2017, le solo de basse de Jeanne Guien s’est rapidement imposé dans les circuits sous-terrains du paysage musical français à grands coups de missives sol-air dans les gencives. La preuve par quatre avec son EP Loops ! I did it again qui vient de paraître chez les grands fous de no lagos musique.
Le label francilien no lagos musique sort pléthore de compilations, d’albums et d’EPs de « frankenstein shit » et autres « bruitsdelavie » selon les tags originaux de leur bandcamp. Avec le projet LV2, ma foi, on est en plein dedans ; même s’il ne s’agit pas, loin de là, du disque le plus hermétique de la déjà longue histoire de no lagos. Nous y reviendrons en temps et en heure, développement articulé à l’appui.
Revenons à l’artiste solo derrière LV2, Jeanne Guien donc, qui s’est fait remarquer en tenant la basse et le chant dans le duo explosif (feu ?) Areva, ainsi que dans le quator no-non mamiedaragon. Terriblement douée, touchée par la grâce céleste et charismatique en veux-tu en v’la, son parcours musical est jusqu’ici assez passionnant à suivre. Plus tortueux qu’Areva, moins live que mamiedaragon, son projet LV2 existe en son nom propre, avec ses codes et ses lignes de risque.
Comme qualifier la musique de LV2 ? La meilleure définition tient probablement dans la description réalisée par l’auteure elle-même : « Les notes, les chants, les cris, les blasts et les coups passent dans un looper et se sédimentent en une techno-noise de plus en plus massive, jusqu’au bruit blanc. » J’ajouterais que cela me donne l’impression d’être tombé dans un piège à ours, avec ma pitance sous le nez, mais hors de portée.
La résidente de Vitry-sur-Seine a sorti un premier EP en 2017, sobrement appelé Danse avec les loops. Le titre du nouvel EP s’inscrit en droite ligne du précédent, avec un sublissime Loops ! I did it again. Premier point d’entrée dans l’expérience d’écoute, cet intitulé cocasse est bien entendu un clin d’oeil appuyé au tube de Britney Spears sorti en 2000 qui parle d’une jeune fille ayant, dixit, perdu son innocence et qui joue avec les sentiments de son amoureux. Oui, c’est mal. Le clip martien d’« Oops!… I Did It Again » (344 millions de vues sur YouTube tout de même) a marqué son époque non pas pour sa réalisation virtuose ou son scénario d’anthologie, mais par l’entremise de la combinaison en latex rouge pseudo-bondage-friendly portée par Britney. Sacrés puritains d’Américains.
Point de Brit-Brit dans la deuxième phase de l’expérience d’écoute de l’EP : en l’espèce, le visuel du disque. Nous sommes en présence d’un collage dada réalisée par Guien. Il se compose probablement de célébrités, dont j’ai, je l’avoue, quelques difficultés à définir l’identité. Playmates ? Actrices de séries Z ? Stars de la télé-réalité ? Paramilitaires mercenaires exposés dans le calendrier annuel du groupe Wagner ? Que sais-je. Le lettrage est l’oeuvre d’Hélène Marian, une collaboratrice régulière de no lagos. Le tout attire l’oeil et fait réfléchir. C’est donc une réussite.
Lecture ! Quatre pistes, moins de 11 minutes. LV2 réduit son expression sonique à un noyau nucléaire rempli d’ogives à même de réduire en miettes toute la concurrence sur le marché sans sommation aucune, avec une classe à faire pâlir d’envie toutes les copines et tous les copains. Les basses vrombissent et les loops filent droit au but, à grand renfort de kicks métronomiques qui nous guident tant bien que mal dans le maëlstrom agréable ambiant.
La voix haut perchée de Guien zèbre les morceaux d’élans qui se rapprochent parfois un peu de ceux d’Armelle d’Heimat, sur “Fécondité” en particulier. Ils invoquent une transe sur une jambe de bois qui se déclenche à un moment ou à un autre des morceaux, où la voix se fait croquer par la musique, qui noie tout dans une grande lessive à 90 degrés.
La vrille intellectuelle, le triturage malin des mots aperçu dans le titre de l’EP, fait aussi partie du jeu intra-chansons. Je pense notamment à la prodigieuse ligne de refrain de “Beaucoup à toi” (“Je bande, je bande beaucoup à toi / Quand j’ai la gaule, quand j’ai la gaule de bois”), qui est absolument imparable.
La marseillaise d’origine écrit des hymnes qui devraient être enseignés en cours d’éducation civique. Il n’y a rien à jeter dans les quatre titres du nouveau LV2 : un constat qui devrait ravir Jeanne Guien, en brillante docteure en philosophie spécialiste des enjeux sociaux et politiques liés aux déchets qu’elle est.
> LV2, Loops ! I did it again (no lagos musique)
Crédits photos : LV2, no lagos musique